Archives

D’une certaine façon, cette chronique et la suivante concernent deux auteurs pour qui j’ai un immense respect mais dont la venue en librairie m’a demandé une grande période de maturation. Le « choc » Ferrari a eu lieu pour moi pendant l’été 2010 à la lecture de son roman Où j’ai laissé mon âme. Ce monologue envoûtant, presque obsédant, met en scène les dissensions de deux militaires de carrière. À travers la guerre d’Indochine et surtout celle d’Algérie, Jérôme Ferrari démontre comment peuvent s’opposer deux visions de la loyauté et du service de l’État et transformer une admiration en une haine féroce. Où j’ai laissé mon âme a représenté à ce moment-là tout ce qui pousse un libraire à promouvoir un livre, tant pour son contenu que pour ses qualités d’écriture. Mais, en 2010, je ne me suis pas senti à la hauteur d’un tel sujet et d’un tel auteur dans mes fonctions de médiateur. Je me suis contenté de prendre connaissance de l’écrivain en découvrant ses publications antérieures et, repoussant une rencontre pour un prochain livre, j’ai vite regretté de ne pas m’être manifesté. Car Jérôme Ferrari obtenait le prix Goncourt pour le livre suivant et sa venue rue Saint-Jérôme (une rue toute désignée pourtant) allait attendre huit années.

C’est à la rentrée 2018 que la rencontre a pu avoir lieu pour À son image. Un roman dont on pourrait dire en jouant sur les mots qu’il lui ressemble. Cela peut être vrai au moins pour deux raisons : c’est une plongée dans la « culture » corse, île berceau de Ferrari, qui fut le contexte de plusieurs de ses romans. C’est aussi une nouvelle fois l’occasion de traiter de sujets universels (Ferrari enseigne la philosophie) comme la sémiologie de l’image ou le rapport à la foi. Empreint de culture corse mais aussi critique avec elle, penseur généreux et passionné, Jérôme Ferrari se prête au jeu de la rencontre avec un appétit et une curiosité des autres sans façade.